Thierry Paquot
GÉOPOÉTIQUE DE L’EAU
Hommage à Gaston Bachelard
Rayon: Écologie, Philosophie de la société.
ISBN: 979-10-93250-14-4
120 pages
Prix: 13,50 euros
Parution: Mai 2016
Plus qu’aucun autre élément peut-être, l’eau est une réalité poétique complète. Une poétique de l’eau, malgré la variété de ses spectacles, est assurée d’une unité. L’eau doit suggérer au poète une obligation nouvelle : l’unité d’élément. Faute de cette unité d’élément, l’imagination matérielle n’est pas satisfaite et l’imagination formelle n’est pas suffisante pour lier les traits disparates. L’oeuvre manque de vie parce qu’elle manque de substance.
Gaston Bachelard, L’eau et les rêves — Essai sur l’imagination de la matière (1942)
L’ouvrage: L’eau est indispensable au vivant (aux plantes comme aux animaux) et à l’humain. Chacun à en tête la photographie d’un champ aride, craquelé, sec, encombré de carcasses de bovins en décomposition… La sécheresse depuis des temps immémo- riaux est considérée comme une calamité, la punition d’un Dieu mécontent ou un sinistre aussi grave que son contraire, l’inondation ! Si la quantité d’eau présente sur Terre ne varie guère d’une année à l’autre, elle est inégalement répartie, aussi certains territoires doivent effectuer un dessalement coûteux en énergie (solaire, éolienne…), tandis que d’autres pratiquent l’épuration et protègent l’aquifère. Au final, l’eau apparaît aux uns comme un enjeu et aux autres comme une ressource, dans les deux cas, elle fait l’objet de tensions géopolitiques et enrichie les multinationales qui la distribuent… C’est principalement l’agriculture productiviste qui surconsomme l’eau, les canons à eau arrosent les champs de maïs tandis que le lisier des cochons pollue les nappes phréatiques… L’industrie agro-alimentaire n’est pas en reste, chaque bien nécessite une certaine quantitéd’« eauvirtuelle », ainsi un kilo d’hamburger réclame en moyenne 16000 litres d’eau, un kilo de poulet 5700, un kilo de fromage 5000, de pain 1300… Pour le dire autrement, il faut de 400 à 2000 litres d’eau selon les régions pour récolter un kilo de blé ! Les entreprises de textiles, d’électronique, de métallurgie, etc., utilisent également beaucoup d’eau. Chaque année les organisations internationales dénombrent les sans eau (plus de 800 millions en 2015), la majorité résident en Afrique et sont victimes des maladies hydriques (choléra, diarrhées, légionellose). L’inégalité face à l’eau potable est flagrante. Si l’on considère que 20 litres par jour et par personne est un minimum, certains terriens ne disposent que d’un à deux litres tandis qu’un Américain « moyen » en consomme 500 litres (certains moins et d’autres plus pour laver leurs 4×4, remplir leur piscine et arroser leur pelouse dans les régions particulièrement chaudes de la Sun Belt), un Européen « moyen » environ 300 litres… L’eau appartient aux quatre éléments selon la culture occidentale, avec la terre, l’air et le feu. La culture orientale admet cinq éléments et ajoute le métal ou le bois. Les philosophes s’en sont préoccupés dès l’aurore de la pensée… Gaston Bachelard (1884-1962) a consacré plusieurs ouvrages à cette « imagination matérielle » des éléments, dont L’Eau et les rêves (José Corti, 1942) que nous relisons ici et situons dans l’ensemble de son œuvre afin de penser l’eau en ce début du XXI siècle où nombreux sont ceux qui la proclament « bien en commun ».
L’auteur: Thierry Paquot, philosophe de l’urbain, ardent bachelardien et soucieux de la question environnementale (il est l’auteur du Petit Manifeste pour une écologie existentielle, Bourin-éditeur, 2007) examine philosophiquement la place de l’eau dans la vie des sociétés et des individus, mêlant informations chimique, économique, géographique, écologique à l’étude symbolique que réclame l’eau stagnante comme l’eau vive, l’eau douce comme l’eau de mer, l’eau de pluie comme l’eau du ruisseau et élabore ainsi une géopoétique de l’eau, garant de cet imaginaire singulier qui assure à chaque humain sa part d’humanité. Il a publié aux éditions Eterotopia France, Le voyage contre le tourisme (2014) avec une préface de Marc Augé.
Le public: tous ceux qui sont sensibles à la philosophie, la sociologie et à la culture contemporaine.
Un extrai : Sur la plupart des photographies, comme sur les rares dessins de lui, dont ceux réalisés par Robert Lapoujade et qui ont été maintes fois repris dans les manuels scolaires, ou ceux d’Albert Flocon, Simon Segal ou Ernest Pignon-Ernest, Gaston Bachelard a une tête de philosophe, grande barbe bien fournie et cheveux longs qui avec le temps blanchissent. Pour beaucoup de ses lecteurs, Bachelard est un vieux monsieur au regard rieur. Pourtant, né en 1884 et mort en 1962 à l’âge de 78 ans, il n’appartient pas aux octogénaires dont la vivacité, et les souvenirs, enchantent dorénavant les médias. Gaston Bachelard possède incontestablement un look « Troisième République », on le verrait bien poser aux côtés de Monet et de Clémenceau, un peu hors temps. Déjà que 1962 exige un effort de mémoire pour en reconstituer l’ambiance, alors que dire de 1884, un an après la mort de Karl Marx ! J’ai beau fixer ces différentes illustrations, il m’est difficile de l’imaginer enfant. Pourtant, le petit Gaston a non seulement été enfant à un moment de son existence (ce qui déjà n’est pas donné à tous…), mais en a cultivé certains traits spécifiques tout au long de sa vie. Arrachons lui sa barbe postiche, coupons ses pantalons en culottes courtes et suivons ce petit gars courir le long des berges et par les routes et les chemins…
Ici, à Bar-sur-Aube, chacun connaît le fils du cordonnier et de la marchande de tabac et de journaux, qui tient boutique rue Nationale. Ils ne roulent pas sur l’or, loin de là, mais offrent à leur fils ce qui est le plus important, une entière confiance. Dans L’Eau et les rêves (1942), il s’épanche : « Je suis né dans un pays de ruisseaux et de rivières, dans un coin de la Champagne vallonnée, dans le Vallage, ainsi nommé à cause du grand nombre de ses vallons. La plus belle des demeures serait pour moi au creux d’un vallon, au bord de l’eau vive, dans l’ombre courte des saules et des osiers. » (p.11) Là, je peux l’imaginer. Il quitte la maison familiale, puis la ville (alors peuplée de quelques 4 600 habitants), salue gaiement un ou deux voisins, puis pénètre dans les champs, emprunte un sentier qui descend vers la rivière, en admire les reflets changeants selon l’orientation du soleil, le jeu des nuages dans le ciel, le feuillage des arbres et l’heure du jour. « Mon plaisir, explique-t-il, est encore d’accompagner le ruisseau, de marcher le long des berges, dans le bon sens, dans le sens de l’eau qui coule, de l’eau qui mène la vie ailleurs, au pays voisin. Mon ‘ailleurs’ ne va pas plus loin. » (p.11) Il chemine ainsi en compagnie de la rivière. Entendez-le lui parler, il lui demande comment elle se sent, puis rassuré, il la questionne sur les têtards, les grenouilles, les poissons, les ajoncs, sur tout ses amis, car la rivière attire l’affection de toute une faune et une flore aquatique et cela fascine Gaston. Il observe ce qui l’entoure, sans en perdre une miette ! L’écorce de l’arbre, le délicat découpage d’une feuille, la souplesse d’une liane, la hauteur impérieuse d’un tronc, le fouillis d’un taillis, la chevelure d’un saule, la musicalité du vent slalomant dans les branches, le chant des oiseaux. C’est un monde en entier auquel il accorde le sien. Son monde alors s’agrandit d’un coup. Son monde s’éveille au contact d’un autre monde avec lequel il fusionne. Sa découverte de la nature ne correspond pas à l’exploration de « quelque chose » qui lui serait extérieur, mais de ce qui fait corps avec son corps. Cette relation s’avère fusionnelle. C’est son secret. Il n’en parle pas à ses parents. C’est trop tôt. Il sait qu’un jour il dira tout sur lui et les éléments, sur leurs relations fraternelles. L’air, la terre, le feu et l’eau font partie de sa famille. Il les a vite adoptés, tout comme la réciproque s’avère immédiate. Toute sa vie, le moindre feu allumera ses rêves. Toute sa vie, le moindre cours d’eau déclenchera son imagination liquide. Toute sa vie, le moindre souffle ébouriffant sa chevelure lui rappellera qu’il est aérien, cousin du papillon ou du geai. Toute sa vie, la moindre poignée de terre qu’il malaxera lui réchauffera le cœur en lui murmurant qu’il n’est pas seul sur cette Terre. Alors le petit Gaston erre dans les bois où il emmagasine des images par milliers. Il prend la mesure des « choses » de la nature, de cette matière vivante, grouillante, imprévue, ondoyante, protéiforme, hétérogène, vibrante, rythmique, organique. Il s’en souviendra lorsqu’il écrira dans « Les nymphéas ou les surprises d’une aube d’été » (1952, Le droit de rêver, 1993) : « Et c’est ainsi que les arbres de la berge vivent dans deux dimensions. L’ombre de leur tronc augmente la profondeur de l’étang. On ne rêve pas près de l’eau sans formuler une dialectique du reflet et de la profondeur. Il semble que, du fond des eaux, on ne sait quelles matières viennent nourrir le reflet. Le limon est un tain de miroir qui travaille. Il unit une ténèbre de matière à toutes les ombres qui lui sont offertes. Le fond de la rivière a aussi, pour le peintre, de subtiles surprises. »
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